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Trop c’est trop!

On aimerait donner plus à notre entourage. Plus de temps, plus d’attention, plus d’aide pour nos enfants, nos amis. Mais pas au détriment de nous-même. Le roman de l’académicien Henri Troyat traite de l’amour père-fille à travers l’assistance que peut apporter une fille à son père dans ses vieux jours. L’histoire m’a dérangée tant le père demande l’omniprésence de sa fille pour tout au point qu’à l’approche de sa cinquantaine, cette femme a du mal à se construire une vie sentimentale et professionnelle à elle. Il a constamment besoin d’elle pour qu’elle stimule son travail littéraire, qu’elle le défende et l’organise. Elle est cette femme de l’ombre comme l’avait été l’épouse de l’écrivain désormais décédée. Ce trop plein d’attention, au-delà d’un possible bonheur derrière cette abnégation, a outrepassé pour moi les limites de l’abus. Cette lecture m’a alors questionnée au sujet de l’excessivité qui est éminemment personnelle et fondée sur des frontières mouvantes.

Le « trop » est toujours dépendant d’une médiane qui serait, elle, « normale » mais qui serait soumise au caractère de chacun. Le premier à développer l’idée du « juste milieu » est Aristote dans l’Ethique à Nicomaque invoquant la vertu qui serait l’équilibre entre deux extrêmes, par exemple, le courage est le juste milieu entre la témérité et la lâcheté.

Cette vision vise le « trop » dans sa version morale, qui façonne davantage l’exercice d’une éthique alors que ce que j’essaie de traiter est plus léger. Car dans l’affaire des sentiments, l’Homme ne cherche pas forcément la tranquillité de ses affects. Comme Sandy, on peut être heureux à travers un état d’abnégation. Ici, il n’est pas question d’excès au sens dionysiaque où l’on pourrait perdre sa vertu. Je ne recherche pas à m’éloigner du « trop » dans sa valeur éthique, juste un surplus de quoi que ce soit. Une situation que l’on ne supporte plus, c’est too much! Quand c’est trop, c’est trop!

C’est ainsi que la quête de l’équilibre, d’un milieu arbitraire, semble désuet. Nous ne cherchons pas la satisfaction d’un équilibre d’où naîtrait le bonheur. Je ne pense pas que nous formulons tel quel notre cheminement personnel pour une pondération ordonnée. On sait seulement qu’il y en a trop. De quoi? Tout dépend de nous. J’apprécie davantage la citation de Blaise Pascal issue de ses Pensées : « Car enfin, qu’est-ce que l’homme dans la nature? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. »

Je me penche sur ce sujet surement parce qu’il m’a rappelé l’un des reproches les plus fréquents énoncés par mes proches. On m’a maintes fois critiquée pour mes positions trop pondérées. Je ne serais pas suffisamment passionnée, je ne réagis pas au quart de tour, je ne suis pas assez impulsive. Il y aurait donc un trop plein d’équilibre, à vouloir trop harmoniser sa personne avec son entourage ou même s’harmoniser soi-même, on se perd et on retombe dans un « trop » surfait.

Alors j’imagine que la dynamique en stabilité serait ailleurs. Le « trop » est ce qui devient encombrant. Il faut se désencombrer. C’est un peu comme dans « L’incroyable légèreté de l’être » de Milan Kundera. Notre vécu dépend de notre appréhension de la vie entre pesanteur et légèreté.

Mais alors, au-delà de l’harmonie, vient se greffer l’authenticité du trop parce qu’après tout je me définis par ce que je suis en trop, c’est la part visible de ma personne pour autrui et moi-même. On sait que notre caractère brut est ce qui est « trop » pour les autres, parfois pour nous-même, c’est alors par là même que nous nous différencions. Le reliquat en superflu est ce que l’on dit de nous. Il nous définit non pas dans l’absolu mais de manière dynamique et relative et c’est un premier angle d’attaque pour se saisir soi-même. Je vais me réconcilier avec mes excès!

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