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Le voyage, quand le corps se mute en terre qui se souvient

En lisant « Voyageur malgré lui » de l’autrice de « La double vie d’Anna Song », roman qui m’avait bouleversée et émue, je suis replongée dans un aller-retour entre la France et le Vietnam et d’autres contrées lointaines. L’anecdote d’un homme qui ne pouvait s’empêcher de voyager, au détriment de sa propre vie, nous fait entrer dans un récit pluriel où les divers personnages rencontrés nous conduisent vers des trajectoires vertigineuses et déchirantes. C’est un voyage perpétuel entaché de conflits, de morts, de souffrances mais apaisé, parfois, par la résilience des personnages.

Au-delà du voyage, le roman de Minh Tran Huy pose la question de savoir où devrions-nous être. Quelle terre est faite pour nous ? D’où vient le sentiment de se sentir chez soi ? Qu’il s’agisse de la terre d’accueil ou celle de départ, les personnages estiment ne pas être à leur place. Soit séparés du lieu qui les a vus grandir, soit mal à l’aise dans leur région de naissance, ils cherchent à atteindre un nouvel horizon, un espace qui correspond à leurs attentes.

voyageur malgré lui minh tran huy

Dans un premier temps, parce qu’un espace nous offre la sécurité et nous permet de nous épanouir professionnellement et personnellement ne signifie pas qu’on s’y sente attaché ou qu’on sente s’unir à cet endroit. Notre fusion n’est pas immédiate, elle se modélise après des événements passés et une vision à plus ou moins long terme de notre vie ainsi vécue, ballottée.

Alors dans le voyage, dans le sentiment d’appartenir à un endroit, de s’y sentir à son aise, la jonction entre l’espace et le temps s’opère. L’histoire, notamment familiale, influe sur notre perception de l’espace qui n’est pas un assemblage neutre de nature et d’enchevêtrement urbanistique. Il nous martèle tous les symboles qu’il véhicule. Notre perception d’une ville est liée à son histoire et aux histoires que ses habitants transbahutent comme l’on fait voyager des idées.

Dans un second temps, il apparaît difficile de faire correspondre ce que nous envisageons de l’avenir dans un lieu circonscrit. Il faudra alors faire tenir notre complexité, nos envies, toutes les ramifications de notre personne dans un espace clos et cerné. Rien que de m’imaginer contenue me donne des vertiges.

Finalement, à travers l’appétence pour le voyage et la découverte, on veut s’absoudre des limites spatiales que l’on soumet à un temps illimité car nous obligeons rarement nos propres espérances d’avenir au fait qu’indéniablement nous avons une fin (en dehors de considérations matérielles sans valeur méta-personnelle). Nous nous appréhendons sur une durée illimitée alors que l’espace implique de nouvelles limites et cloisonne nos projets.

Voyager ou déménager est synonyme de décloisonnement spatio-temporel. Notre réalité d’être s’estompe voire s’efface sous l’effet du voyage. A sa simple évocation, nos sens changent, nous outrepassons l’étroitesse de l’existence et notre corps se mute en interface d’une terre qui se souvient.

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