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Un roman qui manque de sel

Les inconsolés

J’ai découvert l’écrivaine Minh Tran Huy en discutant avec ma libraire (je l’en remercie) et c’est avec une certaine boulimie que j’ai enchaîné « La double vie d’Anna Song« , « Voyageur malgré lui » et « Les inconsolés », son dernier en date.

J’étais excitée comme une puce une fois son roman en poche. J’ai retrouvé l’aller retour entre l’histoire familiale et l’histoire de l’héroïne au présent, ce jeu entre les contes et la réalité qui fait le charme de l’autrice.

Par contre, la quatrième de couverture prévient qu’on pénètre dans un monde mystérieux dans lequel il faut se méfier de l’eau qui dort. Elle met l’accent sur l’aspect tranchant de l’ouvrage et les « dangers » vers lesquels il nous conduit.

L’ascension du suspens qui se brise

Au milieu du livre, j’ai eu le sentiment de toucher du doigt cette angoisse grimpante et de prendre la mesure du suspens qu’il me reste à traverser toujours bercé par le passé d’une nostalgie teintée de récits sur le Vietnam. Malheureusement, à la place d’irradier mes sens et de monter vers l’apothéose, ma lecture m’a déçue au fur et à mesure. Pas de beaucoup car le style de l’autrice sublime à lui seul le roman, mais je ne peux pas dire que j’ai aimé la fin. J’ai hésité longuement parce que je n’arrivais pas à trouver où le bât blesse. Oui, il y a du suspens, oui, la fin est tragique, malgré tout, j’ai trouvé la relation entre Lise et Louis surfaite, surjouée comme s’il fallait absolument rentrer dans un script déjà conçu à l’avance.

Afin de ne pas spoiler, je dirais simplement que l’histoire amoureuse reste engluée dans des banalités qui se démènent pour paraître extravagantes avec une conclusion qui, si elle ne se devine pas, n’en est pas moins frustrante et conventionnelle.

L’accroche a-t-elle placé la barre trop haute?

Je me suis finalement dit que si c’était une autre personne qui avait écrit l’histoire je l’aurais peut-être davantage appréciée parce que j’avais été tellement épatée par Minh Tran Huy, par sa qualité à surprendre, que je m’attendais à trop… Et si, aussi, la quatrième de couverture était moins excessive, j’aurais surement pu accrocher. J’ai attendu « cette histoire de fantômes et de vengeance » mais son dénouement insipide m’a fait penser à ces téléfilms diffusés en début d’après-midi en semaine, certes agréables mais sans originalité.

J’en viens alors à me demander comment jouent sur nous les effets d’annonce? On a tous expérimenté ce sentiment de frustration quand on se prépare à un événement de taille qui, finalement, ne vient pas ou n’en est pas un. On l’appelle communément l’ascenseur émotionnel qui, en matière de littérature, est lent et diminue progressivement instillant l’espoir que l’issue peut encore nous surprendre, qu’on ne peut pas en rester à « ça ».

Cette capacité à éblouir est d’autant plus difficile à atteindre à l’heure actuelle où l’on croule sous les histoires rocambolesques en tout genre. Il ne suffit plus d’écrire une histoire bien ficelée, il faut ce petit plus qui fera la différence avec le ramassis d’informations quotidiennes dont nous sommes bombardés. Il faudra ce léger panache qui gravera cette lecture dans notre mémoire et nous incitera à conseiller l’ouvrage à notre entourage.

Cette question se retrouve dans notre vie professionnelle par exemple. Comment se valoriser sans pour autant créer un gap entre ce que l’on propose et ce qui sera effectif? Tout sera question d’ajustement et d’accéder à cette étincelle. Mais quelle est-elle?

Ajouter une pincée de sel

C’est vrai, « Les inconsolés » manie un style parfait accentué par un vocabulaire dense, certains passages déploient une finesse rare. Pourtant, il manque ce je-ne-sais-quoi. L’oeuvre est comme une recette de cuisine que l’on prépare avec le plus grand soin, pour laquelle on utilise les meilleurs ingrédients, sélectionnés avec précision et mitonnés avec doigté. Les étapes de la recette sont suivies précautionneusement. Cependant, à la fin, on oublie le sel, l’assaisonnement qui fera la différence et qui donnera le ton en rehaussant les autres saveurs.

J’ai le sentiment que l’autrice a joué sur des acquis, son talent littéraire, sa facilité à créer des intrigues puis n’y a pas mis l’ingrédient secret, celui que nul autre ne pourra ajouter : sa personnalité profonde. On reconnait son style mais il manque son petit plus qui nous désarçonne. Le versant de l’histoire traitant de la relation de Lise avec sa mère est, par exemple, beaucoup plus travaillé, beaucoup plus en subtilité.

Je pense que ce défaut a mis du temps à m’apparaître parce que je le vis actuellement lors de l’écriture de mon roman. Les éléments sont réunis (à mon sens, je reste indulgente) toutefois, il faut que je me mouille davantage, que je dépose encore davantage mon empreinte afin d’y laisser mon grain de sel!

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Pourquoi lire un livre dont on devine trop facilement l’issue?!

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Histoire intellectuelle de l’Europe (XIXe – XXe siècles) par François Chaubet