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L’intrusion, un doux malaise

intrusion leila slimani

Qui laisser rentrer chez soi?  A qui permettre de pénétrer dans notre vie privée? Quel est ce sentiment de gêne quand quelqu’un fait irruption dans votre vie et surtout à votre domicile? Faire entrer quelqu’un chez soi est loin d’être un acte anodin car on dévoile des éléments de notre intimité sans le vouloir vraiment, selon les personnes que l’on côtoie. Et pourtant, on est chez soi, on a choisi, alors pourquoi ressent-on une forme d’intrusion lorsque certaines personnes s’enfoncent dans notre intimité. On accepte cet intrus, on l’a invité, mais il crée un malaise, certes accepté mais toutefois encombrant. Comment une invitation peut-elle virée à l’intrusion? Au doux malaise…

Laisse-moi rentrer chez toi, je te dirai qui tu es…

C’est ce qui m’a interpellée dans le roman de Leïla Slimani « Une chanson douce ». J’ai aimé le questionnement autour de ce malaise entretenu et développé par la figure de l’intruse, une nounou en apparence irréprochable. Je me suis posée la question de savoir que sais-je des personnes que je laisse rentrer chez moi? Passons sur le plombier ou l’électricien qui viennent avant tout pour travailler et qui ne s’ancrent pas dans notre quotidien.

Mais alors, quel sera l’impact de l’intrusion d’une personne que nous côtoyons au travail, par l’intermédiaire de l’école des enfants, dans un club de sport à notre domicile, ou pire, comme dans le roman, d’une nounou qui sera là tous les jours de la semaine? Elle est sympathique, cordiale, nous rend service. Pourtant, nous présentons une nouvelle face de nous, nous lui ouvrons nos goûts profonds, ceux qui nous permettent de nous sentir bien dans un univers que nous avons créé ou du moins choisi en accord avec notre subjectivité. Une subjectivité qui ne collera peut-être pas exactement avec celle dévoilée à l’extérieur.

Il en est bien autrement avec un ami proche de longue date, il vous connait, il a déjà sondé les subtilités qui vous complètent. Il n’en mesure pas la complexité, soit, mais il en capte les vibrations. Une nouvelle connaissance sera surement bientôt un nouvel ami de longue date mais, pour l’heure, il est gênant. Il fait tâche dans votre décoration.

 

intrusion

 

Quand l’invitation devient intrusion et met à nu

Les couleurs de votre salon, de votre cuisine, de votre entrée, l’harmonie entre les meubles, la brutalité des matériaux ou au contraire leur douceur vous révèlent. On parle de « s’introduire » chez quelqu’un quand il est question de cambrioleurs alors que cette expression est adéquate même quand nous avons désiré une visite. Nous sommes face à l’autre et nous nous soumettons à sa curiosité. Certains alors s’excusent d’un objet en désordre, d’un aménagement qui n’est pas encore opérationnel parce que cette intrusion rappelle que l’autre est effectivement autre. Sa curiosité nous titille. Ses yeux roulant de gauche à droite nous agacent. Malgré tout, nous acceptons et la plupart du temps, tout se passe agréablement!

 

Quand l’intrusion se fait dépendance…

C’est alors qu’intervient le talent de Leila Slimani. Si cet intrus est souvent bienfaisant et notre gêne à son égard, le fruit avant tout d’un conditionnement de perfection qui n’altère pas notre individualité et est dépassé par le besoin plus profond d’amitié ou de relations sociales basiques, l’auteure en fait la clé d’une intrigue angoissante. Elle insère une dépendance pernicieuse replaçant l’inconnu, l’invité dans son rôle d’intrus. Au fil des jours, cette femme qui vient s’occuper d’enfants, qui, paradoxalement, est de moins en moins une étrangère, projette avec force une facette indésirable de sa personne, celle qui trouble l’intérieur, la quiétude du domicile, le sentiment de sécurité inhérent au foyer. Le récit est parfaitement huilé, l’écriture est fluide, on cerne parfaitement le personnage inquiétant de la nounou. A lire absolument.

Revenons à nos moutons, (pas ceux sous votre canapé hein!). Questionnons le confinement parce que si nous sommes coincés chez nous, c’est le cas de tout le monde donc peu de risque d’intrusion. Mais si ce n’était pas aussi simple…

 

Le confinement va alors me délivrer

En ces temps de confinement, où plus personne ne fait irruption dans votre intérieur, où seules les mêmes visages, les mêmes corps, ceux habilités à être ici, sont présents, l’intrusion est encore prégnante car elle ne vient plus seulement de l’extérieur, elle vient de ceux qui sont perpétuellement là. Au détour de la cuisine, à la sortie de votre douche, devant votre ordinateur, ils sont toujours là. Ils rodent.

intrusion leila slimani

Le problème n’est plus porté sur la découverte, ces personnes vous connaissent, mais plutôt sur l’ampleur démesuré de leur présence, le temps n’en finit plus. Ils s’introduisent car ils n’en sortent plus. Ils créent un malaise acidulé car ils marquent en même temps ce besoin de l’autre, de cette proximité qui nous rappelle que certaines choses n’ont pas changé. Mais ils témoignent aussi, inlassablement, que le temps n’a plus de fin. Si vous les avez invités à rentrer dans votre vie il y a déjà des années, il y a certains moments qui ne peuvent se vivre que seuls. Il serait donc bon de se rappeler que l’invitation tient toujours, juste de temps en temps, on franchit la porte, on se remémore que l’on partage ce qui ne sont que des habitudes, de simples gestes, des objets, des mots choisis, non forcés ou obligés.

La tension, c’est aussi quand l’espace se rétrécit, qu’il se confine pour ne voir nos semblables finalement que comme des intrus. Tout est tellement similaire, sans cesse, sans début ni fin, tout reste tellement intact que nous étouffons. Ainsi, nous oscillons entre le logement refuge et le logement déjà habité. L’invasion de notre espace devient une première préoccupation. Notre sens du partage de l’espace est de facto revisité.

 

L’imaginaire à notre secours

Ainsi, nous sommes obligés, tous, de créer et façonner de nouveaux horizons afin d’élargir notre champ d’action. Et si un intrus c’était cette personne qui, en dépit du temps, malgré tout l’espace que vous pourriez lui donner, sera toujours une étrangère? Elle ne s’adapte pas et reste un fond discordant. Elle fait perdurer le malaise d’une première rencontre. Au fond, elle prend trop de place et c’est là le hic en confinement!

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